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La fête patronale des gardes-champêtres

Nous sommes le 21 février 1835,le maire Jean-Baptiste Geoffroy, tout fraîchement élu,
met sous les yeux de l'assemblée la nécessité de faire changer les nommés Nicolas Dessinger et François Kern, tous deux gardes champêtres de la commune de Buhl, car ils n'ont pas rempli "leurs devoirs en qualité de champêtres"

Cette grave décision prise à l'encontre des deux employés à la fois devra être naturellement justifiée face à l'autorité préfectorale.

Le garde champêtre


Mais auparavant, qu'était le garde champêtre aujourd'hui disparu de notre village ?

Le garde champêtre, employé communal encore dit "Bangarde", et surtout appelé "Bangert" (dialecte) dans le village, était un préposé de la police chargé de "garder le ban" donc le territoire communal en faisant respecter les lois et règlements et en exécutant les directives données par le Maire.

Nommé par le Conseil Municipal sur proposition du maire et agréé par le Procureur de la République, il devait être de conduite irréprochable, intègre et adepte de l'ordre et de la discipline.

Les anciens soldats étaient de ce fait des candidats potentiels à ce poste.


 

Ainsi en 1825, le Conseil Municipal estime que le nommé Nicolas Nicomette, ancien militaire de 14 années de service et connu pour sa bonne conduite, est dans le cas d'exercer les fonctions de garde champêtre. Mais le choix à faire parmi les habitants du village n'était jamais chose aisée.

En acceptant le poste, le garde champêtre prêtait serment. Il touchait en principe la tenue ad hoc sinon quittait au moins la mairie avec au bras la plaque de métal portant les mots "La Loi" et surtout coiffé du képi réglementaire et armé de la cloche, symboles de sa fonction et de son autorité.


Notre plénipotentionnaire du maire pouvait et devait alors arpenter le ban de la commune pour détecter et noter les anomalies, relever les infractions, écouter les doléances des propriétaires, aplanir les conflits, surprendre si possible le ou les délinquants et dresser procès-verbal.

En 1833, le Conseil Municipal "demande aux gardes champêtres de faire exactement leur tournée sur le ban et finage de la Commune et d'en dresser rapport à tous ceux qu'ils rencontrent soit à fourrager sur le terrain ne leur appartenant pas, soit à tenir troupeau à part sur un terrain ne leur appartenant pas non plus".

Ces gendarmes étaient surtout la hantise ou les troubles-fête des enfants chargés de la corvée journalière de garder les bêtes au pâturage. L'envie de se distraire des petits bergers étaient malheureusement proportionnelle à celle des bêtes de filer dans les champs interdits pour goûter le trèfle, s'offrir quelques betteraves ou piquer un sprint, queue dressée, à travers les carreaux de choux et de carottes !

Ces "missi dominici" acheminaient également lettres et convocations officielles et diffusaient à l'aide de la précieuse cloche les "avis à la population"

Les gardes champêtres étaient rémunérés par la commune. Dans les années 1820, Buhl a fixé le salaire annuel d'un garde champêtre à 150 F alors que celui octroyé à l'instituteur pour tenir école s'élevait à 300 F
- En 1908, il sera de 480 marks avec devoir d'attraper les taupes.

Mais dresser des procès verbaux ne devait pas être très rentable pour la commune qui "par manque de ressources" n'arrivait que rarement à payer ses employés à la fin de l'année.

Le salaire leur est souvent versé avec une, deux ou et même trois années de retard. Décourageant !

Régulièrement la municipalité devait faire appel aux dix plus imposés et, avec leur accord, décider de prélever une imposition extraordinaire sur tous les contribuables ayant une propriété sur le finage de la commune pour pouvoir payer le salaire dû "aux deux zélés gardes champêtre" (séances de 1824).


Les griefs formulés.

Mais quels étaient donc les griefs qui ont justifié la révocation des deux gardes champêtres ?
Ils sont dévoilés par monsieur le maire dans la séance du 8 mai 1835.

Les traduire du dialecte et les inscrire au registre des délibérations incombait naturellement au secrétaire de mairie, en l'occurrence Nicolas Froment, instituteur public et du reste natif de Buhl.


Sous sa plume soignée, se complaisant dans les fioritures apparaissent alors des mots ou expressions tout à fait inhabituels dont certains, malgré le sérieux de l'affaire, ne sont pas dépourvus d'humour.

Ils ont volontairement été laissés dans leur orthographe d'origine.
Voici la délibération :
"Le Maire en qualité de Président ayant mis sous les yeux de l'assemblée la lettre adressée par lui à M. le Sous-Préfet en date du 9 février dernier, dans laquelle il demande au nom des membres du Conseil et des plus imposés, l'autorisation de changer les nommés Nicolas Dessinger et François Kern tous les deux gardes champêtres de la dite Commune, qui n'ont pas fait leurs devoirs et n'ont pas rempli leurs fonctions avec exactitude malgré que plusieurs fois ces deux hommes ont été prévenus par plusieurs membres du Conseil de s'y attacher à leurs fonctions qui leur sont confiées et qu'ils ont promis en entrant en fonction avec exactitude.


Pendant la fête patronale 1833, pendant l'espace de trois jours ils étaient à la baraque à se soûler, les petits garçons ou batureau (pâtureaux) ont gardé les deux dits gardes champêtres en disant : "Nous n'avons pas besoin de garder nos bettes ou chevaux, car il était plus aisé à garder les gardes champêtres".
Pour preuve, le nommé Jean Baptiste Geoffroy, maire actuel, le dimanche de la fête vers trois heures de l'après-midi dans le canton dit Grosjetz, le dit Geoffroy a trouvé les chevaux de Nicolas Hardouin qui pâturaient dans une pièce de navettes (navets), le dit Geoffroy, les a détournés et les a conduits dans les près de la Grosjetz. Plus, venant vers le village, il a trouvé des vaches dans les jardins à ravager les choux d'hiver et dont c'étaient les vaches d'un bangart et de son beau-frère et le dit Geoffroy les a conduites au village.

A plusieurs reprises les propriétaires se voyant ravagés ont prévenus les deux bangarts trouvant le délinquant sur le fait . C'était donc leur devoir de faire prendre des arrangements entre les parties ou d'en faire rabort (rapport) mais loin de là si c'étaient quelques uns de leurs protégés, ils ont laissé passé le délai ou pour contentement de la personne ils lui promettaient que le rapport avait été fait.

Ils se sont permis de louer notre pâture sur notre finage de Buhl sans autorisation du Conseil Municipal, c'est à dire le côté de Schneckenbusch même en terre, et ils ont perçu le montant comme chefs absolus et sans être autorisés.

Les personnes qui avaient des dommages sur leurs biens en les prévenant qu'ils voulaient que leurs dommages soient payés, la réponse de ces deux gardes champêtres sans se chener (gêner) disaient : "Va, tu me le payeras, nous te trouverons avec ces menottes".

Le nommé Joseph
Koupferschmitt ex-adjoint
s'étant trouvé dans la
campagne pour vissider
(visiter) les attrapes des
tobes (taupes) en leur disant
qu'ils n'avaient pas assez de
lattes tendues (?) ils lui ont
répondu que cela ne le
regardait pas et
qu'il n'avait rien à leur ordonner en
l'envoyant au diable
et pour mieux dire qu'ils l'en merdaient.

 

Ainsi M. le Sous-Préfet, nous pensons qu'en voilà des griefs en suffisance pour que nous puissions demander la révocation de Nicolas Dessinger et François Kern tous deux gardes champêtres de ce lieu.

En conséquence Monsieur le Sous-Préfet, nous demandons que ces deux gardes champêtres soient révoqués et que le choix est tombé sur Joseph Dessinger, Joseph Scholving et Jean Georges Portmann tous trois hommes de bonne conduite qui nous ont déclaré de l'accepter et en même temps nous ont promis de remplir leurs fonctions avec exactitude moyennant un salaire de cent francs à chacun, faisant la même somme de trois cent francs comme les années auparavant, laquelle somme sera répartie ( ... ) sur tous les propriétaires ayant des terres sur le finage de la dite Commune.

En conséquence le Conseil Municipal et les dix plus imposés demandent que les trois soient commissionnés, seulement pour une année, afin que le Conseil et les plus imposés de la dite Commune puissent prendre deux autres si en cas que ces trois hommes ne rempliraient pas leurs devoirs avec exactitude.

Fait et délibéré les an, jour dits et ont signé. "


* Extrait du bulletin municipal - Décembre 1999 - Texte et illustrations H.B.