CAHIER DE DOLÉANCES DES PRÉVÔTÉS BAILLIAGERES DE SARREBOURG ET DE PHALSBOURG

3. Tiers Etat.

Cahier de doléances.
Demandes particulières et locales (suite)

   ART. - 20. - II existe dans les environs de Gelucourt et Donnelay quantité d'étangs considérables, comme celui de Lindre, de Gondrexange, du Stock, etc., qui ôtent beaucoup de terrains à l'agriculture, occasionnent des débordements et des brouillards qui nuisent aux récoltes des terrains voisins et même à la santé. Il serait à désirer que ces étangs fussent mis en culture.

   ART.- 21. - La communauté de Donnelay et autres sont tenues de payer au maître de poste de Bourdonnay une somme de cinquante-neuf livres par forme de gratification. Demander la suppression de celte charge ou au moins qu'elle soit répartie sur toutes les communautés de la subdélégation.

   ART. - 22. - Les mêmes communautés observent que, contradictoirement à l'édit du roi du 20 avril 1667, qui par l'article six leur accorde la jouissance et possession des biens communs et du tiers denier dont ils ont joui, les fermiers du domaine se permettent depuis quinze à vingt ans non seulement, ainsi que leurs sous-fermiers, d'y faire pâturer leurs troupeaux de moutons, mais même de les louer à leur profit, et conséquemment en privent les dites communautés qui les réclament, et qu'en outre les dits fermiers du domaine exigent différents droits arbitraires qu'ils se font payer sans jusqu'à présent en avoir produit aucun titre, dont ils demandent la représentation.

   ART. - 23. - Que la plantation de la garance sur leur ban et finage, qui en occupe la majeure partie, si nécessaire à l'agriculture et la production des grains, soit prohibée.

   ART.- 24. - De n'être attenu à la dîme du produit des vignes qu'au vingt-quatrième à l'instar de toutes les communautés voisines qui sont régies par les mêmes us et coutumes, le fermier la percevant au douzième.

   ART.- 25. - La communauté de Héming se plaint de ce que chaque habitant est attenu de payer annuellement à son seigneur un résal de blé, un résal d'avoine, différents cens en argent, en volailles, etc., et que, pour une aussi forte rétribution, elle ne reçoit du dit seigneur ni affouage ni bois ni pâturage et enfin aucune indemnité ; que ces cens seigneuriaux excèdent les impositions royales et qu'ils sont des plus onéreux; que ce village est situé sur trois grandes routes, susceptible d'agrandissement de toutes parts, l'église nouvellement bâtie se trouvant suffisante pour contenir un tiers en sus d'habitants, mais par rapport à la surcharge des cens et redevances qui se payent au seigneur, les manœuvres et gens de métier ne peuvent s'y établir, ce qui force les habitants de s'en procurer au dehors et à grands frais.

   ART. - 26. - II en est de même de Bühl et Bébing, ainsi que d'autres communautés, dont chaque journal de terre est chargé envers le seigneur d'un boisseau de blé, d'avoine ou d'autres grains, de même que chaque fauchée de pré, jardins, etc., qui sont assujettis à différents cens et charges, dont entre autre chaque maison paye plus on moins jusqu'à six livres par année, non comprises les corvées qui se montent à pareilles sommes.

   ART. - 27. - La communauté de Réding se trouve chargée d'une infinité de cens, rentes, redevances et prestations de toutes espèces et notamment de différentes servitudes, dont elle demande d'être rédimée.

   ART. - 28. - De la part de la communauté de Brouviller, que les habitants de Hérange viennent exercer le droit de parcours sur le ban et finage de leur communauté, dont ils demandent l'interdiction, ainsi que la suppression de la dîme de pommes de terre qui ne se perçoit point dans les environs, en réclamant que la quantité de sept cents arpents de forêts dans le Schwangen qui leur appartenaient et dont les officiers de la maîtrise de Sarreguemines les ont privés, leur soient rendus et restitués pour leur service d'affouage avec les trois cents arpents qui leur sont conservés, et les rétablir également dans les droits de chasse et pêche dont le fermier s'est emparé.

   ART. - 29. - De la part des communautés de Bourscheid, Kourtzerode et Waltembourg, que les charges et servitudes réelles et personnelles, qu'elles sont dans le cas de payer à leur seigneur, qui les opprime et les accable arbitrairement et sans représentation de titre, les mettront dans peu dans la nécessité de s'expatrier, s'il n'y est remédié, au point que chaque ménage est obligé annuellement à la délivrance d'une poule, à la filasse de deux livres de lin ou trois livres de chanvre, de trente-deux sols par chaque laboureur, de seize sols par manœuvre, de cinq livres aussi par manœuvre pour droit de corvées, de quarante sous par cheval et trente sous par bœuf de trait, de trois boisseaux de blé ou seigle et autant d'avoine, de quatre sols par chaque journal de terre, six sols par jour de pré et seize sols par maison et jardin ; qu'outre ces droits le seigneur perçoit le droit de gabelle à raison de quatre pots par mesure, que les lods et ventes s'y perçoivent au dixième du prix de la vente quand elle se fait entre les sujets et habitants des lieux, même entre les pères, fils ou parents, qu'ils se perçoivent au cinquième lorsque les ventes sont faites par des étrangers, et enfin que, si c'est un habitant qui procède à la vente de ses biens pour s'établir ailleurs, même dans un village limitrophe français ou lorrain, il est attenu de payer au seigneur le tiers du prix de la vente pour lui tenir lieu des lods et ventes ; qu'enfin il existe encore un droit de chef d'hôtel, consistant de la part du seigneur à prendre, à la mort d'un père de famille, la seconde pièce de bêle de l'écurie, et à défaut de bestiaux la seconde pièce de terre labourable qu'il délaisse ; que dans ces communautés il existe deux fermiers du seigneur que les habitants n'ont osé jusqu'à présent imposer aux charges publiques dont le dit seigneur prétend avoir autorité de les exempter, observant que la majeure partie du village de Bourscheid est occupée par les Juifs que les seigneurs y attirent par les droits qu'ils leur payent et qui contribuent encore d'autant à la ruine des habitants,qui demandent que leurs seigneurs aient à représenter tous leurs tires qu'ils leur ont jusqu'à présent refusés, pour [que] après les dits titres bien et dûment reconnus et vérifiés, ces trois communautés soient admises à se rédimer de tous les cens, redevances légitimement dus en en payant le principal comptant, et les autorités à refuser toutes prestations jusqu'à la représentation et vérification des dits titres.

   ART. - 30 - De la part de la communauté de Mittelbronn, que les habitants du dit lieu limitrophe du ban et finage de Bourscheid y possèdent différentes propriétés que les dits seigneurs de Bourscheid assujettissent aux mêmes droits que ceux ci-devant énoncés ; que les dits particuliers y ayant formé des prairies artificielles, ces seigneurs après la récolte y font pâturer leurs troupeaux particuliers sans permettre aux propriétaires d'user du même droit ; que quand les dites prairies artificielles se trouvent en semard, les propriétaires, pour 'en tirer avantage, y plantent des pommes de terre, les dits seigneurs sans attendre la récolte y font pâturer leurs troupeaux et les détruisent; que même lorsque les terrains ne sont point en semard, qu'ils se trouvent ensemencés et qu'il y a quelques friches à portée, les seigneurs les font pâturer, sans permettre à aucun autre troupeau d'en approcher.

    Cette communauté forme contre le fermier la même réclamation à l'occasion du Rauchaber (4) que la ville de Sarrebourg pour le Voglhaber.

   Elle demande une diminution réelle sur les impositions, attendu qu'elle est dans le cas et l'obligation de loger à tous les passages des troupes, ainsi que Danne-et-Quatre-Vents, sans aucunes indemnités quelconques.
Que les Juifs qui ne doivent occuper que trois maisons dans le dit village de Mittelbronn et qui, contradictoirement à leur convention, en ont acquis plusieurs sur des permissions surprises de l'Intendant, soient obligés de se retirer dans les dites trois maisons et de vendre les autres dans l'année, ainsi que de démolir ou vendre la synagogue que ces Juifs y ont construite à côté et tout près de l'église paroissiale.

   ART.- 31. - La communauté de Hultehouse se plaint et réclame les fontaines qui viennent de leur être enlevées pour en conduire les eaux à Phalsbourg, cette privation leur faisant un tort considérable à cause de leurs blanchisseries qui font tout l'objet de leur commerce. Cette communauté, ainsi que celle de Danne, réclame le bois mort et mort-bois et le droit de grasse et vaine pâture dans les forêts du roi, ainsi qu'elles en usaient précédemment, de même que dans les forêts de Marmoutier.

   ART. - 32. - La communauté dé Danne-et-Quatre-Vents demande à ce que le fermier et décimateur suit condamné à leur rendre et payer la part et portion à laquelle ils devaient contribuer pour la bâtisse de l'église, et se plaint de ce que le prévôt de Phalsbourg les a amendées deux années de suite à la tenue des plaids annaux pour avoir fait vain-pâturer sur leur ban et finage, que la ville de Phalsbourg a usurpés, puisque leurs titres portent que le ban et finage de la dite communauté se portaient jusqu'au pied de la ville de Phalsbourg et la rivière de Lutzelbourg, c'est pourquoi elle réclame d'être rétablie dans ses droits.

   ART .- 33. - La communauté de Lutzelbourg, ainsi que les précédentes, demandent la suppression du droit de gabelle sur les boissons ou au moins une très forte modification, la décharge de quatre sous et deux sous qu'elles payent aux domaines par chaque chariot et charrette, ainsi que du sol six deniers par chaque cheminée, sans en savoir la cause et sans en avoir jamais vu les titres.

   Que les officiers de maîtrise exigent d'elles, ainsi que des autres communautés, des places de glandée et ouvertures de taillis, pour lesquelles places elles payent tous les ans depuis trente-six jusqu'à quarante-huit livres, desquelles sommes ils n'ont jamais eu aucunes quittances ; qu'il leur soit permis de faire pâturer et de chercher le bois mort dans toutes les forêts du roi sans y faire aucuns dommages ; qu'enfin n'ayant qu'un très petit ban situé entre des montagnes, sur lequel ils ne recueillent que fort peu de fourrage très aigre, elles soient déchargées de la dîme des foins.

   ART. - 34. - De la part de la communauté de Haselbourg, qu'anciennement et suivant leurs titres il lui appartenait un canton de forêt considérable, dit le Hellert, contigu à celles du roi et des dames d'AndIau, que le sieur comte de Dabo s'en est emparé et [l'a] mis à blanc estoc, et ses facultés ne lui permettant pas de plaider avec ce seigneur, elle demande qu'il plaise au roi de leur faire restituer celte partie de bois avec dommages et intérêts.

   ART. - 35. - La communauté de Garrebourg demande la réduction des anabaptistes, l'exemption du tirage au sort des soldats provinciaux, le droit de bois mort, mort-bois, affouage et glandée dans les forêts de l'abbaye bénédictine de Marmoutier, la présentation des titres de cette abbaye pour les cens et rentes qu'elle se fait payer comme co-seigneur pour les trois quarts avec Sa Majesté.

   ART.- 36. - De la part de la communauté de Vilsberg, la décharge des cens et redevances, ainsi que toutes les précédentes ; qu'une partie de la forêt de Vilsberg, dite le petit bois, qui leur appartenait ci-devant, lui soit rendue en toute propriété. Que ce village éloigné de près de trois quarts de lieue de la paroisse de Phalsbourg, de laquelle il fait partie, n'ayant aucune église ni vicaire résidant, et que Phalsbourg étant une ville de guerre dont les portes se ferment très à bonne heure, que d'ailleurs les vieillards infirmes et femmes grosses ne pouvant se rendre à l'église la plupart du temps, les habitants demandent à ce que les décimateurs soient attenus d'y faire construire et bâtir une église, et que le curé de Phalsbourg soit obligé d'y faire faire le service.

   ART. 37. - Et enfin toutes les communautés représentent et demandent avec instance que toutes les ordonnances et règlements leur soient adressés tant en idiome français qu'allemand, attendu que la majeure partie de ces communautés ignorent la langue française.

   Fait et arrêté par nous huit commissaires soussignés et achevé à Sarrebourg cejourd'hui 9 avril 1789, en observant de la part des quatre commissaires de la ville de Sarrebourg et de son arrondissement que les articles 3, 23, 28 et 45 ont été demandés par la ville de Phalsbourg seule, et que celle de Sarrebourg n'y prend aucune part.

     (Signé)  Henry, Henriet, Berga, Hanzo, Augustin Heitz, Jean Geoffroy, Mambré, Jean Schwartz.

   Coté et paraphé le présent cahier contenant vingt-six pages par nous prévôt juge royal à Sarrebourg en exécution de notre procès-verbal de cejourd'hui 9 avril 1789. Le présent pour être joint audit procès et être déposé au greffe.

     (Signé)  Mathey, Embry, secrétaire greffier.

 

(4) Le mot Rauchhaber vient des mots allemands Rauch (fumée) et Haber (Hafer = avoine). Ce droit, qu'on appelle aussi ailleurs droit de fumée, n'est pas comme on l'a cru dans quelques villages "un certain droit pour permettre aux particuliers d'avoir une cheminée", mais, en général, un impôt à payer par celui qui a un foyer, donc par chaque famille. Dans quelques endroits on désignait par ce mot le cens annuel dû par tout ménage (foyer) à qui le seigneur avait cédé des terres à cultiver. A Mittelbronn, en particulier, c'était un droit d'affouage, dont le payement donnait autrefois droit à la glandée et à la pâture.
- On entend par semard dont il est question dans cet article, celle des trois saisons qui n'est pas ensemencée et qui se repose.

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